MAURICE ALLAIS, CELUI QUI AVAIT TORT D’AVOIR RAISON
Maurice ALLAIS est né dans une famille modeste de petits commerçants. Son père meurt du typhus en captivité en 1915. Il s’en suit une enfance perturbée qui le fait entrer à l’école communale avec 3 ans de retard. Pupille de la Nation, il entame de brillantes études secondaires, et passe un double baccalauréat de mathématique et philosophie. Puis il sort major de sa promotion de polytechnique en 1933 !
Pendant sa scolarité à l’X, il effectue un voyage d’études aux U.S.A. pendant la grande dépression, expérience qui le marquera tout au long de sa vie. C’est ainsi qu’il commence à s’intéresser réellement à l’économie, et entame la lecture de ceux qu’il considérera comme ses maîtres : Léon WALRAS, FISCHER, et surtout Wilfrid PARETO.
Après la guerre, il s’oriente très vite vers l’enseignement et la recherche qui constitueront les deux axes majeurs de sa carrière. Ainsi, il devient dès mars 1944 professeur d’analyse économique à l’Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris, et dès octobre 1946 directeur de recherches au CNRS, ce jusqu’à sa retraite administrative en 1980, à la tête du Centre d’Analyse Economique, doublement rattaché à l’Ecole des Mines et au CNRS.
La liste de ses activités, dont des chaires d’enseignants au Centre Thomas Jefferson de l’Université de Virginie, ou à l’Institut des Hautes Etudes Internationales de Genève, serait trop longue à dérouler, jusqu’à ce qu’il obtienne en 1988 le Prix Nobel d’Economie, puis son entrée à l’Académie des Sciences Morales et Politiques en 1990.
Alors comment se fait-il que cet esprit brillant, cet analyste compétent, a été occulté par presque l’ensemble des médias ? Comment se fait-il que seul Le Figaro publiait ses articles, du moins tant qu’Alain Peyrefitte en était le Rédacteur en Chef ?
Dans son testament, publié par le magazine MARIANNE en décembre 2009, il se plaignait amèrement d’être un « Prix NOBEL téléspectateur ».
Et de se poser trois questions à la fin de son message, dont celle-ci : qui détient de la sorte le pouvoir de décider qu’un expert est ou non autorisé à exprimer un libre commentaire dans la presse ?
Que Maurice ALLAIS, de là haut, se rassure, cette question est toujours d’actualité !
Les multinationales Américaines, les grandes banques, et dans leur sillage nos propres sociétés multinationales, ont des intérêts financiers si importants qu’elles pèsent de tout leur poids sur la vie politique !
Pourtant, lorsque nous évaluons la situation économique actuelle du Monde, de l’Europe, et bien entendu de notre France, lorsque nous lisons les écrits de Maurice ALLAIS, il y a 20 ans et plus, force est de constater que la situation qu’il décrit n’a pas changé, et que les mêmes causes qu’il dénonce produisent toujours les mêmes effets !
Un peu avant la dernière élection Européenne, je me suis replongé dans le livre de Maurice ALLAIS, « La mondialisation, la destruction des emplois et de la croissance », datant de 1999.
Or, une conclusion saute aux yeux : il suffit de compléter les tableaux en y ajoutant les statistiques du chômage, le coût de son traitement social, les taux de croissance de ces dernières années, et vous pouvez rééditer cet ouvrage sans rien n’y changer … sauf naturellement les nouvelles crises financières comme celle de 2008, et qui étaient annoncées au fil des chapitres !
Son raisonnement s’appuie sur des constatations simples :
La ligne de fracture de la montée du chômage en France, se situe en 1974, lorsque la Communauté Européenne abandonne la préférence communautaire pour adhérer à une politique d’ouverture des frontières mondialiste : « personne ne veut, ou ne peut, reconnaître cette évidence : si toutes les politiques mises en œuvre depuis 25 ans pour combattre le chômage ont échoué, c’est que l’on a constamment refusé de s’attaquer à la racine du mal : la libéralisation mondiale inconsidérée et excessive des échanges au regard des disparités considérables de salaires réels qui se constatent aux cours des changes avec de très nombreux pays. »
De l’ensemble de cet ouvrage, résultent plusieurs conclusions, dont l’une est tout à fait fondamentales : Une libéralisation totale des échanges et des mouvements de capitaux n’est possible, elle n’est souhaitable que dans le cadre d’ensembles régionaux groupant des pays économiquement et politiquement associés, et de développement économique et social comparable.
La mondialisation de l’économie est certainement très profitable pour quelques groupes de privilégiés, mais les intérêts de ces groupes ne sauraient s’identifier à ceux de l’humanité toute entière. Elle engendre des inégalités croissantes et la suprématie partout du culte de l’argent avec toutes ses implications.
Et pourtant, l’article 2 du Traité de Rome, repris dans les traités de Maastricht et d’Amsterdam, précise : « la Commission a pour mission…de promouvoir un développement harmonieux des activités économiques dans l’ensemble de la communauté, une expansion continue et équilibrée, une stabilité accrue, un relèvement accéléré des niveaux de vie… » Le problème est que le traité de Maastricht a ajouté : « dans le respect du principe d’une économie ouverte où la concurrence est libre »
Toute la construction Européenne, tous les traités économiques internationaux sont basés sur une « vérité établie », qui est enseignée dans toutes les grandes universités Américaines et à leur suite dans celles du monde entier : « le fonctionnement libre et spontané des marchés conduit à une allocation optimale des ressources », et justifiée par la théorie des coûts comparés de RICARDO.
Or, cette théorie repose sur une hypothèse essentielle, à savoir que la structure des coûts comparatifs reste invariable au cours du temps. La spécialisation des marchés qui en est la résultante se révèle particulièrement dangereuse à plus d’un titre. Il résulte par exemple, de là, que la disparition de certaines activités dans un pays développé en raison d’avantages comparatifs aujourd’hui pourra se révéler demain catastrophique.
La perte des emplois industriels : Il n’est qu’à voir aujourd’hui les conséquences de la disparition de l’industrie Française des domaines des télécommunications en général, suite à la disparition de sociétés pourtant à la pointe de la technologie comme ALCATEL, qui possédait au début des années 2000, 150 000 salariés dans 120 sites de par le monde ! Son P.D.G., le sulfureux Serge TCHURUK, décida qu’ALCATEL-ALSTHOM devait devenir une entreprise sans usine, concept à la mode qui prétendait que la valeur ajoutée résidait dans la matière grise, la R & D, et que les usines Chinoises pourvoiraient à la production ! On connaît la suite ! Aujourd’hui, nous sommes totalement dépendants de la bonne volonté des Chinois et des Japonais, et ce n’est pas la polémique actuelle autour de HUAWEY qui peut nous rassurer !
« L’Europe affronte la concurrence d’économies naissantes, telles que celle de la Malaisie, de la Thaïlande, de la Chine et de l’Indonésie. Alors que la France peut-être compétitive dans le domaine des industries hautement spécialisées, en recherche et en technologie, elle ne peut pas créer des emplois bas de gamme pour absorber les travailleurs non spécialisés ou semi-spécialisés. Ces emplois ont été exportés vers les pays d’Asie et d’Amérique du Sud où la main d’œuvre est bon marché. La France ne peut pas faire chuter les salaires de ses ouvriers non spécialisés au niveau de ceux de ces pays bon marché. Politiquement, ce n’est pas possible. » Go Choc Tong 1er ministre de Singapour 17/10/1996
De fait, la baisse des emplois industriels est constante, et les communiqués de « victoire » du gouvernement sur quelques cas d’implantation ne peuvent masquer les dossiers qui s’accumulent : l’aciérie, WIRLPOOL, Général Electric, FORD…
Il y a eu dans les années 1960/1970 jusqu’à plus de 6 millions d’emplois industriels en France, représentant jusqu’à 28% de la population active. En 1997, ils n’étaient plus que 4 165 000, ils sont 3 150 000 en 2018 !!
L’argument de l’avantage pour les consommateurs de pouvoir acquérir des produits à bon marché en provenance des pays à bas coût ne doit pas faire oublier que les consommateurs sont aussi des êtres humains qui peuvent être atteints par les souffrances du chômage, mais aussi des citoyens qui en paient chèrement la contrepartie en augmentations d’impôts et charges sociales conséquentes aux pertes d’emplois.
Si l’on considère les délocalisations et leurs implications, il est incontestablement insensé de poursuivre une politique économique qui enrichit ceux qui détruisent les emplois nationaux en transférant leur production à l’étranger, et qui ruine ceux qui s’obstinent à employer leurs compatriotes. Il ne s’agit pas de construire une forteresse Européenne mais de la préserver d’une concurrence dévastatrice des pays à bas salaires.
L’équilibre des échanges et des productions devrait entraîner dans nos sociétés une baisse considérable des salaires pour que nos entreprises qui fabriquent des produits ne nécessitant pas une main d’œuvre qualifiée restent compétitives, mais chacun sait que cela est socialement impossible, et imaginer que nous allions laisser aux pays d’Extrême-Orient les produits basiques et leur vendre les produits technologiques était faire injure à leur ingéniosité et leur talent d’adaptation !
Et notre agriculture ? : De même, comment imaginer que les avantages comparés des pays à bas coût ne puissent nous amener à abandonner notre agriculture ! Or, aujourd’hui, nos agriculteurs souffrent, ne peuvent gagner un peu d’argent, ne serait ce que pour assurer leurs besoins essentiels, les suicides se multiplient, et la population vieillit tout en continuant à diminuer ! Allons nous demain, si nous ne protégeons pas notre agriculture, et sous prétexte d‘avantage des coûts, dépendre totalement des porcs Polonais, des Bœufs Américains, et des oléagineux OGM Brésiliens ?? Qui entretiendra nos campagnes où la flore et la faune reviendront rapidement à l’état sauvage ?
Le coût du traitement social du chômage : Lorsque l’on regarde les chiffres d’un peu plus près, on constate l’évolution du chômage depuis 1974, suite à l’intégration du Royaume Uni, l’Irlande et le Danemark, et les accords de Tokyo du G.A.T.T., accélérant la politique d’ouverture commerciale des frontières :
Année | Population active | Chômeurs BIT | Sous emploi total |
1974 | 22 270 000 | 632 000 (2,84%) | 754 000 |
1981 | 23 504 000 | 1 761 000(7,44%) | 2 596 000 |
1997 | 25 642 000 | 3 192 000(12,45%) | 6 052 000 |
2015 | 29 600 000 | 3 500 000(11,80%) | 5 621 000 |
On peut observer que le nombre d’actifs a progressé de 1 00 000 sur la dernière décennie, et que le taux d’emploi des femmes et des séniors a augmenté, du fait pour ces derniers des premières mesures concernant les conditions de départ à la retraite.
Il n’empêche que le coût social pour les finances publiques est impressionnant : si l’on ajoute les coûts directs (indemnisation des chômeurs, coût du R.S.A), les frais de fonctionnement de Pôle Emploi, mais aussi les intérêts du refinancement de la dette de quelques 30 milliards de l’UNEDIC, si l’on tient compte du manque à gagner en recettes fiscales et sociales, on atteint la somme astronomique de 100 milliards d’€ chaque année !
En conséquence directe de tout cela, la croissance a été divisée par deux et le niveau de vie des Français n’a été globalement préservé qu’au prix d’une dette qui devient insoutenable !
Autre point de grande inquiétude, la libération des échanges financiers : « l’économie mondiale repose aujourd’hui sur de gigantesques pyramides de dettes, prenant appui les unes sur les autres dans un équilibre fragile et instable. Jamais dans le passé une pareille accumulation de promesses de payer ne s’est constatée. Qu’il s’agisse de spéculation sur les monnaies ou de spéculation sur les actions, le monde est devenu un vaste casino où les tables de jeu sont réparties sous toutes les longitudes et toutes les latitudes. Partout la spéculation est favorisée par le crédit puisque l’on peut acheter sans payer et vendre sans détenir… et renforcé par la cotation continue des cours »
Exemple précis qui a eu lieu vendredi 24 mai dernier : le titre CASINO (c’est une coïncidence !). Sa maison mère RALLYE, endettée, a demandé et obtenu une procédure de sauvegarde auprès du tribunal de commerce de Paris, ce qui est une procédure classique pour suspendre les remboursements des dettes et permettre à l’entreprise de les renégocier avec ses créanciers, sous le contrôle de juges du commerce garantissant la régularité des négociations, tout en protégeant les intérêts des petits actionnaires et des salariés. Toute la journée, les Hedges funds Anglosaxons s’en sont donné à cœur joie, notamment pour consolider ou infirmer des positions vendeuses. Trois millions d’actions qui s’échangent dans une seule journée, avec des écarts de 6€ ! Autant sur le titre RALLYE, faites le calcul ! Es-ce cela de l’économie ?? Non, c’est du libéralisme sauvage dans lequel l’humain n’a aucune place, mais uniquement l’appât du gain indu !!
En créant l’Euro, monnaie unique, nous avons « mis la charrue avant les bœufs ». Les cours des changes jouent un rôle majeur puisque le prix de tout produit d’un pays étranger dépend du cours de la monnaie de ce pays. Mais en raison des mouvements spéculatifs des capitaux à court terme, la balance des paiements ne correspond pas à la balance commerciale, le système des taux de change flottants induit non seulement une instabilité permanente, mais des taux de change qui peuvent être très éloignés de leur valeur d’équilibre, et qui enlèvent toute signification réelle aux niveaux des prix mondiaux.
L’Euro ne nous a pas protégé des crises financières, ni des fluctuations du Dollar U.S. Il n’a pas empêché les U.S.A. d’infliger des amendes colossales aux banques Européennes, ou l’administration TRUMP de contraindre nos entreprises à renoncer à leur retour en Iran, qui avait été entamé suite aux décisions de l’administration OBAMA !
C’est ainsi que l’on observe également la politique des autorités Chinoises afin de sous-évaluer la valeur du Yuan et favoriser leurs exportations !
La Chine qui est sous certains aspects un colosse aux pieds d’argile, car elle commence à souffrir de la politique de l’enfant unique, d’une population qui entame un processus de vieillissement. Une population âgée pour laquelle rien n’a été prévu, du fait de 30 années chaotiques de communisme Maoïste, mais cela est un autre sujet, sur lequel je me suis déjà exprimé !
En conclusion, la doctrine de Maurice ALLAIS peut se résumer ainsi : il ne saurait être d’économie de marché efficace si elle ne prend pas place dans un cadre institutionnel et politique approprié, et une société libérale ne saurait être une société anarchique.
« Les perversions du socialisme ont entraîné l’effondrement des sociétés de l’est. Mais les perversions laissé-fairistes d’un prétendu libéralisme mènent à l’effondrement des sociétés occidentales. »
En fait l’objectif de toute société libérale et humaniste est de faire vivre ensemble des hommes d’aspiration et de capacités différentes dans des conditions assurant leur respect mutuel et des conditions de vie aussi bonnes que possible. En réalité l’économie mondialiste qu’on nous présente comme une panacée ne connaît qu’un seul critère, l’argent, elle n’a qu’un seul culte, l’argent. Dépourvue de toute considération éthique, elle ne peut que se détruire elle-même. « L’économie doit être au service de l’homme et non l’homme au service de l’économie. »
Au terme de tous ces constats, il me semble indispensable de poser une question importante, et qui a déjà, il me semble, fait le titre d’un article de presse : et si l’on essayait (vraiment) le Gaullisme ? Pas celui d’une classe politique que nous avons vue à l’œuvre, qui osait s’en parer alors qu’elle n’est composée que d’une bourgeoisie libérale libre-échangiste, et qui est dénoncée sans la nommer par Maurice ALLAIS, mais le vrai Gaullisme, celui de l’indépendance nationale dans une démocratie souveraine, ce qui n’empêche en rien l’ouverture sur le monde, celui d’une vraie participation des salariés au sein de leur entreprise.
« Le capitalisme n’est pas acceptable dans ses conséquences sociales. Il écrase les plus humbles. Il transforme l’homme en un loup pour l’homme. Le collectivisme n’est pas davantage acceptable : il ôte aux gens le goût de se battre ; il en fait des moutons. Il faut trouver une troisième voie. » Charles de Gaulle
Didier Hamelin
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