LA FRANCE, UNE DEMOCRATIE AU CONGELATEUR
Chronique de Dominique JAMET...
On connaît la saisissante formule de La Rochefoucauld : « L’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu ». Si paradoxal que cela puisse sembler au premier abord, il est permis de voir dans l’invasion et la vandalisation, le 6 janvier dernier, du Capitole de Washington par les « fans » de Donald Trump, un hommage involontaire et brutal, mais un hommage implicitement rendu par l’émeute au symbole que représente et au pouvoir que détient le Congrès des Etats-Unis, donc à la réalité et à la vitalité de la grande démocratie nord-américaine.
Pourquoi des trublions certes très républicains mais beaucoup moins démocrates ont-ils donné l’assaut à leur Parlement, pourquoi certains d’entre eux avaient-ils manifestement l’intention de s’en prendre physiquement aux représentants ou aux sénateurs qu’ils espéraient surprendre en pleine séance ? Parce que les Congressmen étaient sur le point de ratifier l’élection incontestable et néanmoins contestée de Joe Biden. Parce que, outre-Atlantique, un député ou un sénateur n’est pas une baudruche, une marionnette, un fantôme, une simple apparence, parce que les élus délégués par le peuple dans la capitale fédérale ne pratiquent pas la politique du chien crevé au fil de l’eau. Parce qu’un système institutionnel inchangé depuis plus de deux siècles repose sur une répartition équilibrée entre législatif et exécutif, l’occupant de la Maison Blanche, investi par le peuple tout entier, tenant la barre et donnant l’impulsion, les locataires du Capitole contrôlant les décisions du président, soit qu’ils coopèrent avec celui-ci, soit, si les électeurs en décident ainsi, qu’ils constituent un élément modérateur, voire un garde-fou contre les abus ou les excès éventuels du chef de l’État. Parce que, pour reprendre une expression qui dit bien ce qu’elle veut dire, « c’est là que ça se passe ».
La dernière fois, dans l’histoire de notre pays, que le Palais-Bourbon, siège de la Chambre des députés, fut visé par une manifestation aussi violente, aussi mal organisée, aussi dépourvue de perspective et plus violemment réprimée que celle du 6 janvier dernier aux États-Unis, c’était le 6 février 1934, de sanglante mémoire. Depuis lors, chez nous, la représentation nationale n’a plus jamais été sérieusement menacée. Mais si l’on pouvait y voir, même sous la IVe République, la preuve d’un consensus général, en tout cas majoritaire, autour de la démocratie représentative et de son expression parlementaire, les choses ont bien changé. A l’apogée, en 2019, du mouvement populaire des Gilets jaunes, les manifestants ont-ils envisagé de s’en prendre à l’Assemblée nationale ? Au Sénat ? Évidemment non. En connaissaient-ils même la localisation ? Non. Ils ont tenté, dans le désordre et l’improvisation de marcher sur l’Élysée, « là où ça se passe. » Mais épargner les lieux où est censée s’élaborer la loi ne signifiait en aucune manière que les députés ou les sénateurs jouissaient de la confiance ou de la sympathie du peuple, mais que celui-ci, réaliste, avait pris acte de l’éclipse, partielle selon les uns, totale suivant les autres, de la démocratie parlementaire en France.
Il est de bon ton aussi bien dans la sphère médiatique que dans le microcosme politique d’opposer aux errements des démocraties illibérales qui règneraient dans des pays comme la Pologne ou la Hongrie, l’exemplarité d’un régime que le monde entier nous envierait. Il s’en faut que ce tableau rassurant corresponde encore à la réalité.
La Constitution de 1958 avait cherché et trouvé, ou cru trouver un équilibre institutionnel entre l’autorité présidentielle, la stabilité gouvernementale et l’indépendance du corps législatif, composé d’une Chambre d’initiative et d’une Chambre de réflexion. Les dérives successives des textes et des usages qui nous régissent ont faussé puis détraqué cette horlogerie délicate.
L’autorité présidentielle, dans le cadre rétréci d’une souveraineté mise à mal par les traités européens, n’a cessé de s’affirmer et de s’accroître jusqu’à devenir la source unique d’un pouvoir sans contrôle. La stabilité des équipes ministérielles devenues entre temps ( hors cohabitation), le personnel de service du Château, est une réalité qui va au-delà des espérances des pères fondateurs de la Ve. Est-il vraiment satisfaisant, ou déraisonnable et injustifiable que, passant d’un excès à l’autre, pas une fois depuis cinquante-neuf ans, il ne se soit trouvé une majorité parlementaire pour renverser un Premier ministre ? Faut-il croire que nous ayons eu la chance, presque unique au monde, d’être dirigés par des équipes gouvernementales composées d’hommes irréprochables et fières de réussites indiscutables ?
La vérité, chacun la ressent, et elle est à l’origine d’un dysfonctionnement qui va croissant de notre système qui n’a plus de la démocratie que les apparences. Le mode de scrutin qui préside aux différentes consultations a certes assuré la tranquillité des majorités qu’il a permis de dégager, mais au prix d’une distorsion croissante entre le vote des électeurs et leur représentation parlementaire. La funeste instauration du quinquennat et la coïncidence du calendrier présidentiel avec le calendrier législatif a permis à des présidents choisis par une minorité d’électeurs du premier tour de disposer d’une majorité à leur botte élue dans la foulée de leur victoire. En l’absence de consultations intermédiaires – élections législatives ou referendums – le peuple n’est plus autorisé à émettre un avis sur ses dirigeants, leur personne et leurs résultats, qu’une fois tous les cinq ans, ce qui creuse naturellement l’écart entre un président et une Assemblée désignés sans recours possible pour la moitié d’une décennie et les citoyens. Quant aux députés, élus non sur leur personne ou leurs idées mais sur le programme, la bonne mine et sous l’égide du président, en même temps que celui-ci, ils ne constituent qu’une instance d’approbation, une Chambre d’enregistrement où l’opposition, sous-représentée, a tout juste le droit de geindre tandis qu’une majorité d’inconnus, sur-représentants d’on ne sait quoi, lui impose sa loi – ou plutôt les lois que lui impose le gouvernement.
Le remède qu’a trouvé ces derniers temps le président Macron à cette dégradation de notre République est cette parodie de réforme où divers Comités qui tirent leur prétendue légitimité d’un tirage au sort, de surcroît truqué singent la démocratie directe. Méprisant, hélas à juste titre, un Parlement mal élu, puisque non représentatif, ignorant les différents corps intermédiaires, élus régionaux, départementaux, locaux, partis et syndicats, le chef de l’État persiste dans une pratique solitaire et verticale qui ne satisfait que son ego démesuré. Il n’en tombera que de plus haut.
La France est-elle encore une démocratie ? Remise à des jours meilleurs en raison, ou sous le prétexte de la pandémie, la démocratie est au congélateur, comme un vulgaire vaccin Pfizer. Attention au dégel.
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