LE VISITEUR
Chronique de Dominique JAMET...
Réélu pour cinq ans – cinq ans ! – mais sans popularité, sans majorité, sans crédibilité, et donc privé des moyens de ses ambitions, Emmanuel Macron a expédié sans états d’âme Elisabeth Borne en première ligne pour y défendre un projet de réforme des retraites dont l’urgence, la nécessité et l’équité n’apparaissaient pas évidentes à la majorité des Français. Tandis que, stoïque et disciplinée, se cantonnant dans le rôle que lui ont assigné les institutions de la Ve République et surtout leur dérive, son Premier ministre s’embourbait puis s’enlisait dans la fastidieuse et grossière caricature de débat qui a discrédité à parts égales l’exécutif, le législatif, le gouvernement, la représentation nationale et pour finir la classe politique, le chef de l’Etat multipliait et le plus souvent provoquait les occasions de sortir du cadre étroit de l’hexagone, apparemment trop étroit pour son envergure. C’est ainsi qu’à peine il avait pu constater lors d’un premier déplacement en Afrique la dégradation et le recul de l’influence française, il a tenu à le vérifier sur pièces lors d’un second voyage sur le continent noir.
M. Macron n’en a pas moins sacrifié au rituel, désormais inscrit au répertoire de la comédie française, qui ramène chaque année le président de la République et à sa suite la quasi-totalité du personnel politique porte de Versailles, lors du Salon de l’Agriculture, là où se presse la foule des badauds autour de la France de toujours, de cette France qui travaille et plus particulièrement qui travaille la terre. Ainsi, comme ses prédécesseurs, comme les candidats à sa succession et comme tous ceux qui aspirent ou conspirent à figurer sur la scène nationale, a-t-il longuement arpenté les allées du Parc des expositions, goûté quelques échantillons solides ou liquides de notre production agricole et viticole et pris la pose pour des selfies aux côtés de Français et de veaux particulièrement photogéniques, en prenant bien garde de ne pas confondre ceux-ci et ceux-là. Il a également profité de sa venue pour égrener quelques promesses de subsides aux manants comme à la sortie d’une l’église, les jours de baptême ou grands mariages, les invités jettent des pièces de monnaie ou des dragées aux curieux, aux enfants et aux mendiants. Puis il a regagné son palais ou sa résidence secondaire de la Lanterne, peut-être, probablement persuadé d’avoir rencontré son peuple.
Illusion. Parodie que symbolise assez clairement la manière expéditive, voire la brutalité avec laquelle un service d’ordre nombreux et vigilant fait écran entre ce président exceptionnellement à portée d’injures, de paires de claques ou pire encore et tous ceux ou toutes celles qui voudraient engager avec celui-ci un véritable dialogue, lui dire leurs inquiétudes, leurs attentes, leur colère, lui demander son aide, sa compréhension, sa sollicitude, être éclairés sur ses intentions, ses propositions, ses plans et qui devront se contenter d’un échange de banalités et de lieux communs au milieu de la presse, du vacarme et de la bousculade.
Pourtant, anonymes, invisibles, simples quidams, vous, moi, nous tous aimerions savoir et il est bien normal que l’on se tourne vers notre président élu pour le lui demander comment, par quelles méthodes, avec quels moyens il compte relancer l’agriculture, l’industrie et l’économie françaises, comment il entend apurer notre dette extérieure, en finir avec nos déficits de toute sorte, s’il envisage d’assurer des salaires convenables et des pensions décentes à ceux qui ont la chance d’être nés ou de vivre dans un des pays les plus riches du monde et le malheur d’y vivre dans la gêne, la précarité ou la misère, s’il a une recette pour concilier l’humanité et l’ordre, l’immigration et la cohésion nationale, l’indépendance française, nos alliances et la défense nationale, les libertés individuelles et la sécurité collective, s’il se décide enfin à prendre à bras-le-corps la détérioration de notre système de santé et la chienlit de notre système d’éducation, ce qu’il compte faire pour stopper le match inégal qui oppose en période d’inflation les prix et les salaires, pourquoi enfin, confrontée au drame qui ensanglante l’Est de l’Europe, la France, renonçant à jouer la carte de la médiation et de barrer la route à une troisième (et ultime ?) guerre mondiale, est passée du statut de spectateur impuissant à celui de cobelligérant irresponsable…
Mais ce n’est pas devant un stand de la porte de Versailles, en échangeant quelques mots avec un inconnu, que le président traitera et résoudra les questions qui préoccupent ou alarment les Français. Ni là ni ailleurs. Notre démocratie fonctionne en règle générale sans voire contre le peuple. Les rencontres minutées et filmées du Salon de l’Agriculture illustrent plutôt le fossé, voire le gouffre qui s’est creusé entre l’univers de la politique et la vraie vie. Nos professeurs d’histoire stigmatisaient le légendaire « Après moi le déluge ! » prêté à Louis XV. On nous parle beaucoup ces jours-ci de sécheresse menaçante. Et le déluge est déjà là.
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