LA DIAGONALE DU FLOU
Chronique de Dominique JAMET...
Ni tout à fait le même ni tout à fait un autre ? Le 24 avril dernier, les électeurs ont confié un mandat de cinq ans, donc jusqu’en 2027, à l’un des douze candidats qui briguaient la présidence de la République française. Par une étonnante coïncidence, il se trouve que l’élu du porte les mêmes nom et prénom que son prédécesseur : Emmanuel Macron. Certains vont même jusqu’à trouver une troublante ressemblance physique entre les deux hommes. De fait, la figure et la silhouette de notre premier magistrat ne sont pas sans présenter quelques traits communs avec celles du jeune homme dont il s’apprête à prendre la succession.
Pour autant, peut-on comparer le visage buriné par les crises, marqué par les épreuves, trahissant parfois la fatigue, la gravité et la dignité d’un chef d’État chevronné et la fougue, l’impétuosité, l’impulsivité adolescentes du jeune homme providentiel qui, en 2017, accédait au pouvoir par surprise (certains, à l’époque, allaient même jusqu’à parler d’effraction), ne craignait pas d’annoncer rien de moins qu’une « révolution » dont il évoquait les contours vaporeux plutôt qu’il n’en dessinait la forme, n’en disait la finalité et n’en précisait les voies, les étapes et les perspectives.
Trêve de plaisanterie. Nous n’avons pas changé de président, mais le président réélu jure ses grands dieux, par Jupiter, que, s’il a la même identité, il n’a plus ni les mêmes pratiques, ni la même personnalité, bref qu’il a changé ou, pour reprendre l’un de ses tics de langage, qu’il s’est réinventé. « Je est un autre », disait déjà Rimbaud, autre enfant prodige qui ne s’était fourvoyé ni dans la banque ni dans la politique mais dans la poésie et le trafic d’armes.
Le beau discours que voilà ! Notre modeste président ne laisse à personne le soin de proclamer sur les places publiques le miracle de sa conversion. Il était distant, on allait jusqu’à dire « arrogant ». Il a compris, il a mûri, il est désabusé. Il était sec, il présente désormais un taux exceptionnellement élevé d’humilité. On avait cru observer que, s’il prétendait organiser de grands débats, c’était pour le plaisir narcissique d’y prendre et d’y monopoliser la parole. Il raillait sans pitié ceux qui ne sont rien et professait qu’il suffit d’essayer pour réussir. Il tonnait du haut de son Olympe élyséen. Il est prêt aujourd’hui à laver les pieds des pauvres, à remplir le réservoir de leurs voitures et leur garde-manger. Il tranchait de tout, il savait tout mieux que personne, il n’avait eu de cesse de créer et de maintenir une distance infranchissable entre lui et la réalité, entre les classes défavorisées et les élites, entre son ego et son peuple, il avait amassé et fait fructifier au cours de son mandat un capital de détestation inédit. Désormais, à l’instar des médecins de famille d’autrefois, il va au-devant de citoyens qui ne sont décidément pas des sujets, il consulte, il écoute, il prend le pouls des inquiets et des anxieux, il fait baisser la fièvre des coléreux et des abandonnés, pour un peu il toucherait les écrouelles… Et il décidera, finalement, dans le silence, le secret et la solitude. Comme avant.
Car une chose est de prétendre que, de nouveau président, on est un homme nouveau, une autre de cesser de se payer et de payer son auditoire de phrases creuses, de promesses vagues et de témoignages d’autosatisfaction. Peut-on vraiment changer, et en éprouve-t-on seulement le besoin lorsque tout vous réussit ? Car la chance insolente qui a servi une nouvelle fois Emmanuel Macron pourrait bien le dispenser de toute autocritique sérieuse. Après que le Covid avait plongé une grande partie de la population dans l’hébétude, la guerre en Ukraine a regroupé le troupeau des moutons autour de son berger.. Le président-candidat a surfé avec succès sur la peur de « l’extrême-droite ». Le président réélu compte encore sur la peur pour faire barrage à l’extrême-gauche.
Tout occupé à digérer sa victoire et à organiser la suite, le président laisse le pays dans l’ignorance de son programme, de ses intentions, de ses nominations. Du Premier ministre à venir, on sait simplement qu’il sera une femme. Ou un homme. C’est selon. Pour faire une politique « de droite » ? C’est bien possible. « De gauche » ? Cela se pourrait. En s’appuyant sur le parti de l’ordre et de la raison ? De préférence. En cohabitant avec la Nouvelle Union populaire ? On ne peut l’exclure. Pour faire quelles réformes ? Ou pour les différer ? On verra. Nous voilà bien avancés.
Bref, le changement annoncé pourrait bien se résumer à l’annonce du changement. Ce que feu Edgar Faure, expert en compromis boiteux et en formules subtiles appelait « le changement dans la continuité. »
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