L’ELIMINATION DE DAECH : UNE GRANDE CAUSE INTERNATIONALE
Chronique de Dominique Jamet...
Ce qui s’est passé vendredi dernier à l’intérieur de la mosquée de Bir-el Abed, un village du Nord-Sinaï, est épouvantable. Terrible. Littéralement. Fait pour semer l’épouvante. Pour répandre la terreur. Exactement comparable au crime de guerre dont Oradour-sur-Glane, tranquille bourgade du Limousin, fut le théâtre, au mois de juin 1944. Jamais autant de personnes n’avaient été victimes de Daech en aussi peu de temps. On peut même dire que l’organisation terroriste a battu ses propres records en massacrant quelque trois cents innocents, à la bombe et au Kalachnikov. Certes, la plus belle performance mondiale, à ce jour inégalée, a été réalisée le 11 septembre 2001 à New York, et appartient toujours à Al Qaïda, mais celle du 24 novembre 2017 méritait elle aussi d’être saluée.
Ce qui n’a pas été vraiment le cas. Non que les grands dirigeants de la planète se soient dispensés de passer au maréchal Al Sissi un coup de fil de condoléances ou de faire rédiger par le porte-plume de service la dépêche rituelle pleine d’indignation, de solidarité et autres bons sentiments. Mais leur réaction n’est pas allée plus loin que cette démarche protocolaire. Disons les choses comme elles sont : il est clair que le drame du Sinaï ne leur a fait ni chaud ni froid et ne les a pas empêchés de vaquer à des occupations qui leur semblaient plus importantes. Ce faisant, ou plutôt ne faisant pas, ils étaient au diapason de leurs opinions publiques.
Je laisse à penser le tapage qu’aurait produit un attentat de ce genre et de ce niveau s’il avait eu pour cadre quelque capitale occidentale, telle que Londres, New York ou Paris, qui n’en finit pas de commémorer la funeste soirée du 13 novembre 2015. Mais Bir-el Abed, ce trou perdu au milieu de nulle part, si près de la péninsule arabe, si loin de nos palais et de nos rédactions ! Mais des paysans égyptiens ! Mais des cadavres pour toujours anonymes, comme ceux qui tombent régulièrement, par dizaines, à Kaboul, à Damas, à Bagdad, et qui nous sont si indifférents, à nous qui, en pleine guerre, vivons toujours dans l’insouciance de la paix.
Comme si, à trois mille kilomètres de distance, Le Caire était toujours à trois semaines de Paris. Comme si nous ne pouvions être de nouveau frappés, à notre tour, par le même ennemi, dans un an, dans un mois, dans un jour. Comme si le glas ne devait jamais sonner pour nous. Comme si nous persistions à vouloir ignorer que l’immense majorité des victimes des fanatiques sont musulmanes. Comme si la vie humaine n’avait pas partout la même valeur. Comme si nous n’avions décidément pas compris que dans ce conflit où l’adversaire est sans visage, sans uniforme et désormais sans territoire, le champ de bataille est partout.
La perte de Mossoul, la chute de Rakka, l’abandon de Palmyre n’ont mis fin ni à la capacité de nuisance de feu l’Etat islamique, ni au désir de ses affidés de nous faire payer le plus cher possible ses reculs, ses défaites et ses pertes. Daech nous fait toujours la guerre et nous la fera jusqu’à la disparition du dernier de ses volontaires de la mort.
Emmanuel Macron en est-il bien conscient ? Les premiers pas de notre jeune président sur la scène internationale ont été généralement salués comme des succès, au moins d’apparence, de prestige et d’image. Et voilà qu’après six mois à peine au pouvoir, le chef de l’Etat retombe dans les errements et les erreurs de ses trois derniers prédécesseurs et tient à intervenir sur tous les sujets, à commencer par ceux qui ne sont pas de son niveau. Pendant que la mort frappait à Bir-el Abed, M. Macron, applaudi notamment par le lobby chic des mégères, des harpies et des Pasionarias de l’androphobie, faisait de la lutte contre les violences sexuelles, de l’allongement des délais de prescription et de la répression de la pornographie « une grande cause nationale » et « l’une de ses priorités ».
Ne méconnaissons pas l’ampleur et l’importance du choc consécutif à la sordide affaire Weinstein. La parole des victimes a été libérée, la chape de plomb de la honte et de la peur fissurée, les insuffisances et les vices de la société dénoncés, et les passions bientôt déchaînées, dans un de ces débats sociétaux où nous nous complaisons et nous enlisons. Allons-nous vers une société incohérente, à la fois permissive et répressive, érotisée et puritaine, confiante envers les femmes, défiante envers les hommes, assimilés à des porcs ? L’avenir nous dira si à la guerre des classes et à la guerre des races les outrances de quelques -un.e.s viennent ajouter la guerre des sexes. Mais ce n’est pas à Jupiter qu’il revient de trancher la question. Le débat en cours, qui touche à l’ordre public, à l’ordre moral et à l’affectif, est du ressort de l’opinion, des médias, du Parlement, des ministres de l’Intérieur et de la Justice. Le président n’a-t-il pas d’autres chats à fouetter ?
Il est vrai que M. Macron avait ces jours-ci plusieurs « priorités ». Par exemple débaucher M. Dussopt, recaser M. Castaner, amadouer les maires de France, corriger son image de président des riches… A l’école autrefois, les maîtres qui enseignaient le français (non inclusif) définissaient la priorité comme le fait de donner à une chose plus d’importance qu’aux autres, de la faire passer avant toutes les autres. Nos gouvernants ont pris l’habitude d’avoir de plus en plus de « priorités ». Avoir plusieurs priorités, c’est n’en avoir aucune.
On nous fait la guerre. La faisons-nous ? Quand Clemenceau fut porté au pouvoir en 1917, c’était pour faire la guerre. Sa priorité, unique, fut de la faire. Lorsque de Gaulle, à Londres, puis à Alger, entretenait la flamme de la Résistance, il n’avait lui aussi qu’une priorité, la libération du territoire.
Lorsqu’un tueur sadique ou un gang criminel, dans le domaine du droit commun, multiplie ses forfaits, toutes les polices du monde coopèrent pour le mettre hors d’état de nuire. Daech est ce tueur sadique, Daech est ce gang criminel. Il n’est plus aujourd’hui aucun Etat normalement constitué, à commencer par ceux mêmes qui l’ont initialement soutenu, qui ne comprenne que la fin du cauchemar et la paix du monde passent par l’élimination du monstre qu’ils ont engendré. M. Macron, à ses moments perdus, pourrait faire de la formation d’une coalition planétaire, sous l’égide de l’ONU, sa priorité. Ce serait à la hauteur et de ses fonctions et de l’idée qu’il se fait de lui-même, « une grande cause internationale »
Dans la même rubrique
11 novembre 2023 – TOUS A LA GRANDE MARCHE DU 12 NOVEMBRE 2023 !
27 février 2023 – LE VISITEUR
18 juin 2022 – SECOND TOUR MODE D’EMPLOI
7 juin 2022 – CET HOMME EST DANGEREUX
22 mai 2022 – UKRAINE. LA GUERRE…ET APRES ?